Friday, January 8, 2010

(Le Figaro) Chine-Japon : le grand rapprochement

http://www.lefigaro.fr/international/2010/01/04/01003-20100104ARTFIG00310-chine-japon-le-grand-rapprochement-.php

Entre les deux puissances d'Asie, le poids historique de sanglants conflits s'estompe au profit d'un pragmatisme économique et stratégique. 2010 s'annonce comme l'année de gestes de réconciliation spectaculaires, prélude à une alliance plus étroite.

Un Chinois s'incruste chez l'empereur ! Le chef de l'Agence impériale ne décolère pas. Il y a une semaine, le premier ministre japonais, Yukio Hatoyama, lui a imposé en catastrophe la visite impromptue du vice-président chinois, Xi Jinping, probable successeur du président Hu Jintao. Une faveur exceptionnelle lorsqu'on sait qu'en vertu du protocole il faut un mois pour être reçu par Sa Majesté Akihito. Cette précipitation en dit long sur l'extraordinaire importance que le gouvernement japonais attache à la Chine. Quelques jours plus tôt, le tout-puissant secrétaire général du Parti démocrate du Japon (PDJ), Ichiro Ozawa, avait mené à Pékin une délégation de 643 sympathisants et membres de son parti pour des entretiens au plus haut niveau. Téléspectateurs japonais et chinois ont pu assister en prime time à une scène surréaliste : Hu Jintao se prêtant, bon prince, à une photo souvenir individuelle avec chacun des 143 parlementaires PDJ venus pour l'occasion ! Quelques semaines avant, le ministre de la Défense japonais avait accueilli à bras ouverts son homologue chinois, annonçant des exercices militaires communs.


La haine était une raison d'être du PC

Et tout ceci n'est qu'un hors-d'œuvre. Selon nos informations, le Parti communiste chinois aurait soumis au PDJ le scénario d'une réconciliation spectaculaire cette année : Yukio Hatoyama irait d'abord à Nankin, lieu des pires atrocités commises par l'Armée impériale japonaise lors de sa conquête de la Chine, pour présenter au peuple chinois des excuses officielles sans ambiguïté. Quelques mois plus tard, le 15 août, jour de l'anniversaire du bombardement atomique d'Hiroshima, Hu Jintao se rendrait à son tour dans la ville japonaise martyre pour y exposer les «trois principes» de la doctrine nucléaire chinoise : ne pas bombarder le premier, ne pas attaquer un pays non nucléarisé, ne pas exporter l'arme nucléaire.

Ichiro Ozawa, chef d'orchestre de ce rapprochement spectaculaire, est un vieil ami de la Chine. Il a fait ses classes sous le premier ministre Kakuei Tanaka, précisément celui qui, en 1972, a négocié la normalisation des relations diplomatiques entre le Japon et son immense voisin. Aujourd'hui, il s'efforce de donner un coup d'accélérateur à un réchauffement entamé en 2006.

Avant cette date, les relations japonaises allaient de mal en pis, otages d'enjeux de politique intérieure des deux côtés. À Pékin, l'ex-président Jiang Zemin avait trouvé dans la haine du Japon un motif de rassemblement pour les patriotes chinois (et une raison d'être pour le Parti communiste, historiquement légitimé par la lutte contre l'envahisseur japonais). «Lorsqu'il est venu au Japon, Jiang Zemin nous a bassinés avec l'histoire même au banquet avec l'empereur. Quelle impolitesse !», se souvient un convive japonais encore ulcéré. Du côté du Japon, le premier ministre Junichiro Koizumi leur donna les verges pour se faire fouetter en se rendant au sanctuaire shinto nationaliste Yasukuni en 2001.


Des secouristes japonais

La haine atteint son paroxysme lors des violentes émeutes antijaponaises qui secouèrent la Chine en 2005. Depuis, elle s'est dissipée. «Le Japon et la Chine sont engagés dans ce qu'ils appellent un partenariat stratégique. Hu Jintao a décidé de faire passer au second plan les querelles historiques. Il ne parle plus que des relations sino-japonaises de l'après-guerre, qui sont sans nuage», explique Ryosei Kokubun, professeur de l'Université Keio, le meilleur spécialiste des relations entre les deux pays.

Les dirigeants japonais et chinois multiplient les visites officielles. En 2007, le premier ministre chinois, Wen Jiabao, a prononcé devant la Diète japonaise un discours, retransmis en direct à la télévision chinoise, dans lequel il saluait les multiples excuses du gouvernement japonais à propos de la Seconde Guerre mondiale.

En mai 2008, une tragédie a achevé de rapprocher les frères ennemis d'Asie. Après le tremblement de terre du Sichuan, le Japon fut le premier pays à envoyer une équipe de secours sur les lieux du sinistre. Malgré la méfiance réciproque entre les opinions publiques, la télévision d'État chinoise consacra une très large couverture aux efforts des soixante secouristes japonais. En première page, les journaux chinois publièrent la photo de ces ennemis d'hier, voûtés et silencieux, prostrés par leur impuissance face à la mort, au milieu des décombres. «À partir de ce moment, l'image des Japonais a changé en Chine», estime Ryosei Kokubun.


70 millions de touristes chinois en 2020

Les hommes politiques font du rattrapage accéléré par rapport aux patrons. Car les liens économiques n'ont jamais été aussi forts. L'empire du Milieu est devenu l'atelier du Japon, son principal partenaire commercial, et demain son premier client. Il est indispensable à des groupes comme Nissan, Honda et Toyota, tant pour la production que pour les ventes. À Tokyo, les touristes chinois se pressent dans les restaurants et les boutiques, se substituant aux Japonais assagis par vingt ans de stagnation économique. «Le ministre des Transports est surexcité : il prévoit 70 millions de touristes chinois en 2020, soit autant que les touristes accueillis en France chaque année», s'étrangle le représentant d'une compagnie aérienne européenne à Tokyo.

Le discret Centre d'amitié sino-japonaise, au cœur de Tokyo, est un symbole des relations discrètes qu'ont nouées les deux pays depuis vingt ans, pendant lesquels l'un s'est affaissé, l'autre a décollé. «Nous avons fondé le centre sur l'exemple du traité de l'Élysée entre de Gaulle et Adenauer, qui a initié les échanges de jeunes Français et d'Allemands. C'est le meilleur moyen de rapprocher nos deux peuples. N'oubliez pas que la Chine est vingt-six fois plus grande que le Japon, avec une population dix fois supérieure», explique le président fondateur du Centre, Tatsumi Murakami. Au-dessus de son bureau, une immense et magnifique calligraphie offerte par Hu Jintao, qui se lit ainsi : «Avec la force de la jeunesse, faire régner la paix dans le monde.» À l'époque de la création du Centre, la Chine était encore un objet d'angoisse pour les Japonais. «Le jour de l'ouverture, en 1988, un camion de l'extrême droite a fendu la foule des convives sans que personne ne l'arrête», se rappelle Tatsumi Murakami. Depuis, ce bâtiment austère a accueilli près de 4.000 étudiants, notamment des centaines de doctorants «qui aujourd'hui sont à des postes clés de l'État chinois, dans les universités ou les entreprises», se félicite-t-il. Les anciens étudiants de l'école restent en contact avec leur famille d'accueil japonaise, notamment grâce à un logiciel de traduction simultanée conçu par le centre.

Cette amitié fondée sur l'oubli demeure cependant fragile. Les occasions de malentendus et de conflit sont infinies entre les deux puissances. La dernière crise a été causée par une affaire de raviolis chinois avariés qui ont empoisonné des milliers de Japonais. Un an après les faits, Tokyo demande toujours des explications et laisse cette affaire influencer sa diplomatie.

Mais c'est l'accès à l'énergie et aux matières premières qui est la première source de conflits entre la Chine et le Japon. Les deux pays se battent, par compagnies interposées, dans le monde entier. Chinois et Japonais sont respectivement les deuxième et troisième plus importants consommateurs de pétrole. Dépourvu d'or noir, le Japon doit importer la quasi-totalité de ses besoins. La Chine, elle, était autosuffisante en pétrole jusqu'en 1993. Aujourd'hui, plus de la moitié de ses besoins pétroliers sont importés, et son appétit ne cesse de grandir. Or les ressources ne sont pas infinies. Ce conflit n'est jamais plus évident que dans les eaux qui séparent la Chine du Japon, où Tokyo et Pékin se disputent trois gisements de gaz naturel et de pétrole. Les chancelleries des deux rives promettent périodiquement un règlement à l'amiable, mais elles ne règlent rien du tout et les quelques vaisseaux militaires qui naviguent autour de ces gisements frôlent parfois l'escarmouche. «Toutes les estimations concordent : ces champs n'ont pas un grand potentiel. Ils peuvent déclencher au pire une crise diplomatique, mais probablement pas un conflit», tempère David Hewitt, analyste du secteur pour CLSA. Selon la compagnie chinoise Cnooc, qui a déjà commencé à explorer lesdits gisements à la barbe des Japonais, les réserves représentent 22 millions de barils de pétrole et 67 millions de barils (équivalents) de gaz naturel. Une goutte d'or noir à l'échelle des réserves chinoises (1% des réserves pétrolières et 7% des réserves gazières de la Cnooc), mais une manne substantielle par rapport à celle des réserves japonaises.


La guerre de l'énergie

Une partie de la classe politique met en garde contre un rapprochement politique inconsidéré avec la Chine. «C'est simple : le budget militaire du Japon est le plus transparent du monde, tandis que le budget militaire chinois est le plus opaque», résume l'ancien ministre de la Défense Gen Nakatani. «Il est normal que le budget militaire chinois augmente comme il le fait de 10% par an. Après tout, il ne fait que suivre la croissance de l'économie. Mais ce que nous voudrions savoir, c'est où va cet argent. Et on ne nous le dit pas», s'inquiète Shigeru Ishiba, un des principaux leaders de l'opposition. «La Chine n'a certes l'intention d'attaquer personne. Mais elle n'est pas une démocratie. Sa politique peut changer d'un instant à l'autre. Au moins, avec les États-Unis, nous partageons les mêmes valeurs», dit-il.

Dans les couloirs du centre d'amitié nippo-chinoise, le jeune So Chin Shu bachote son japonais. «La politique ? Je m'en fous. J'aime le Japon. Les mangas, les dessins animés, les jeux vidéo… Pour moi il était naturel de venir ici», tranche-t-il.

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